
P. CARRÉ, Les avoueries des églises liégeoises, XI
e
-XV
e
siècles, ULg, 2008-2009
porter, ce qui lui vaut le titre de signifer
66
, c‟est-à-dire de porte-étendard
67
. Nous reviendrons
en détail dans les pages qui suivent sur l‟importance de cet étendard dans l‟univers militaire
liégeois au Moyen Age.
L‟apparition de l‟avoué de Saint-Lambert dans les sources relatives à l‟abbaye de Saint-Trond
n‟est pas anodine et mérite d‟être replacée dans le contexte des événements touchant cet
établissement religieux, mais aussi le pays de Liège dans son ensemble. Nous nous situons en
effet durant la crise de succession qui suit la mort de l‟évêque Otbert (31 janvier 1119). Liée à
la Querelle des Investitures, qui sévit depuis maintenant plusieurs décennies, cette crise se
traduit par l‟affrontement de deux camps : les partisans de Frédéric de Namur, candidat
pontifical, consacré évêque de Liège à Reims, et ceux de l‟archidiacre Alexandre, candidat de
l‟empereur Henri V (1111-1125). Dans cette lutte pour le siège épiscopal, Frédéric de Namur
reçut entre autres le soutien de l‟abbé de Saint-Trond, Rodolphe (1108-1138). Quant à
l‟archidiacre Alexandre, il comptait parmi ses partisans le redoutable avoué de Saint-Trond, le
comte Gislebert II de Duras (1088-1136), mais aussi notre avoué de Saint-Lambert, Renier II.
Il semble même que ce dernier entraînait dans son sillage presque toute la familia de Saint-
Lambert avec ses forces militaires
68
.
Par ailleurs, il semble que Renier fut en conflit avec l‟abbé de Saint-Trond pour des raisons
territoriales. Ainsi apprend-on vers 1128
69
que l‟avoué de Saint-Lambert s‟était emparé d‟un
manse détenu librement par le mayeur de Saint-Trond à Borlo pour l‟intégrer à son propre
alleu
70
. Peut-être faut-il également voir l‟avoué de Saint-Lambert dans le seigneur Renier,
avoué, qui, de concert avec des gens de Kortenaken, s‟empara de plus de 30 manses dans le
domaine de Halle
71
, autre appartenance de l‟abbaye de Saint-Trond
72
.
A vrai dire, il ne s‟agissait pas des premiers abus de ce type que l‟on puisse reprocher à
Renier. Plus d‟une décennie auparavant, déjà, notre avoué avait connu des démêlés juridiques
avec le chapitre de Saint-Lambert au sujet des localités de Landen, Nodrenge
73
et Hallet dont
il
74
était avoué. Ils donnèrent lieu à la rédaction du plus ancien règlement d‟avouerie
concernant les possessions du chapitre cathédral (1116). La nature des faits reprochés à
66
RODOLPHE, Gesta abbatum Trudonensium, éd. C. DE BORMAN, t.1, Liège, 1877, p.193.
67
J.F. NIERMEYER, Mediae latinitatis lexicon minus, LeydeŔNew YorkŔCologne, 1997, p.970.
68
J.L. KUPPER, Liège et l’Eglise impériale, op.cit., p.146-154 et 232.
69
Ces informations proviennent de la longue lettre que l‟abbé Rodolphe écrivit dans l‟intention d‟obtenir l‟appui
de l‟évêque de Metz contre Gislebert de Duras, avoué de l‟abbaye de Saint-Trond. Ce document ne brille pas par
son objectivité et reflète une tendance manifeste à l‟exagération. Cf. notamment à ce sujet C. DUPONT, Violence
et avouerie au XI
e
et au début du XII
e
siècle en Basse-Lotharingie..., op.cit., p.115-128. Nous renvoyons
également le lecteur à la thèse de M. CLAUSS, Die Untervogtei..., op.cit. qui contient un chapitre consacré à
l‟avouerie de l‟abbaye de Saint-Trond (p.77-90) ainsi qu‟au mémoire de licence de T. ZELLER, La maison de
Duras..., Liège, 2007.
70
Rodolphe, Ibidem, p.270-271.
71
Halle-Booienhoven et Kortenaken, deux localités de la province de Brabant flamand, arrondissement de
Louvain.
72
Ibidem, p.272.
73
C.S.L., t.1, n°XXXII, p.52-53. Landen : Province de Brabant flamand, arrondissement de Louvain ;
Nodrenge : hameau du village de Marilles, province de Brabant wallon, arrondissement de Nivelles ; Grand-
Hallet : province de Liège, arrondissement de Waremme.
74
A noter que G. DESPY, Les campagnes du roman pays de Brabant au Moyen Age, p.11, considère ce Renier
comme un membre du lignage de Jauche, qui exercera l‟avouerie dans ces domaines à partir du siècle suivant
(cf. infra). Cependant, aucun de Jauche portant ce prénom n‟a jamais été attesté dans d‟autres sources. Par
ailleurs, les données chronologiques coïncident parfaitement avec Renier II, avoué de Saint-Lambert. Aussi,
pouvons-nous considérer cette dernière identification comme pratiquement certaine. Cf. A. WILKIN, Les biens de
la cathédrale Saint-Lambert..., op.cit., p.277-279 et surtout p.277, n.1369.