
P. CARRÉ, Les avoueries des églises liégeoises, XI
e
-XV
e
siècles, ULg, 2008-2009
mariage, en l‟occurrence celui de la fille de Wiger, qui apporte l‟avouerie en dot. Cette
dernière, dont nous ignorons le nom, épouse un personnage de haut rang, Eustache, le frère de
l‟évêque de Liège Albéron II (1135-1145). Nous sommes visiblement en présence d‟un cas de
népotisme
86
et il est permis de supposer que l‟évêque usa ici de toute son influence. C‟est
donc Eustache de Chiny qui succède à son beau-père en tant qu‟avoué de Hesbaye à partir de
1139.
Avec son frère à la tête de l‟avouerie de Hesbaye, Albéron aurait pu jouir de la sécurité et de
la tranquillité. Or, les événements semblent prouver le contraire. Non qu‟Eustache s‟en soit
pris directement aux possessions épiscopales, mais sa propension à l‟usurpation suscita divers
embarras à l‟évêque, déjà en mauvaise posture suite aux accusations de simonie pesant contre
lui.
Depuis des siècles, Tourinne-la-Chaussée
87
était une possession du monastère de Stavelot,
confirmée par un diplôme d‟Otton II, daté de 975. Toutefois, sous l‟épiscopat d‟Alexandre I
er
(1128-1135), le prédécesseur d‟Albéron, les droits de Stavelot furent bafoués par le comte de
Namur, Godefroid (1102-1139), qui s‟empara illégalement du domaine
88
. L‟abbé de Stavelot,
Wibald (1130-1158), une personnalité de grande envergure, ne se laissa pas intimider : il alla
jusqu‟au pape pour mettre fin aux abus. Nous savons ainsi qu‟Honorius II (1124-1130) écrivit
à l‟évêque Alexandre pour que justice soit rendue concernant Tourinne. La situation n‟en
resta pas moins inchangée jusqu‟en 1135, date à laquelle Alexandre fut déposé au Concile de
Pise. Albéron, le neveu du comte Godefroid de Namur
89
, lui succéda sur le trône épiscopal
90
.
La parenté unissant le nouvel évêque au comte usurpateur n‟était pas de nature à résoudre le
conflit. Malgré deux interventions du pape Innocent II Ŕ à Amalfi (1137)
91
et lors du concile
de Rome Ŕ et une lettre de Wibald adressée à l‟évêque lors d‟un synode à Liège, Godefroid
campait toujours sur ses positions. Il faudra attendre le jugement de la cour impériale, en date
du 11 avril 1138, pour que les moines de Stavelot puissent récupérer leur bien
92
.
Le répit fut de courte durée. Peu de temps après, c‟est Eustache de Chiny qui occupait
Tourinne par la force. Pour justifier ses agissements, l‟avoué de Hesbaye n‟hésita pas à
prétendre que Wiger de Waremme, son beau-père, avait autrefois reçu ce même domaine en
bénéfice de la part du comte de Namur. Les protestations des moines de Stavelot ne se firent
pas attendre. Forts du soutien du pape Innocent II, de l‟empereur Conrad III, mais aussi des
archevêques de Cologne et de Trèves, ils purent contraindre Albéron II à garantir les droits de
leur monastère. Ce fut chose faite en 1139
93
. Dans un acte donné à Liège, le prélat déclara ne
pas avoir tenu compte des « liens de la chair et du sang » et avoir contraint son frère à la
soumission. Il notifia par ailleurs qu‟Eustache lui avait promis de ne plus commettre aucune
violence à Tourinne dans l‟avenir. La nouvelle occupation du village par Eustache, quelques
années plus tard, ne fera qu‟illustrer la vanité de cette promesse.
86
J.L. KUPPER, Liège et l’Eglise impériale, op.cit., p.301.
87
Province de Liège, arrondissement de Waremme.
88
F. ROUSSEAU, Actes des comtes de Namur..., op.cit., p.CXI.
89
Alice, soeur du comte Godefroid, avait épousé Otton II, comte de Chiny. De leur union, étaient nés plusieurs
enfants, dont le futur évêque Albéron II et Eustache de Chiny.
90
J.L. KUPPER, ibidem, p.164.
91
Amalfi : Italie (Campanie), province de Salerne. U. BERLIERE, art. Albéron (II), Dictionnaire d’histoire et de
géographie ecclésiastiques, t.1, Paris, 1912, col. 1418-1419.
92
J. HALKIN, C.G. ROLAND, op. cit., t.1, n° 164 et n°192, p.392-394.
93
J. HALKIN, C.G. ROLAND, op. cit., t.1, n°168, p.344-346.