
P. CARRÉ, Les avoueries des églises liégeoises, XI
e
-XV
e
siècles, ULg, 2008-2009
En 1141 eut lieu un événement capital de l‟histoire liégeoise : le siège de Bouillon
94
.
L‟occupation du château de Bouillon, devenu liégeois, par deux fils du comte de Bar fut à
l‟origine d‟une opération militaire lancée par l‟évêque Albéron II. Les Liégeois furent
contraints d‟assiéger la place, qui ne capitula qu‟un mois plus tard. Les contemporains
attribuèrent aux reliques de saint Lambert un rôle décisif dans la victoire. Malgré certaines
réticences, celles-ci avaient en effet été transportées sur les lieux
95
. Un élément certes moins
connu, mais tout aussi remarquable, fut le commandement exercé par l‟avoué Eustache de
Chiny au cours de ces opérations militaires.
Lorsque les Liégeois constatèrent qu‟ils ne pouvaient emporter le château en un coup de main,
l‟évêque Albéron envoya des renforts, comprenant les milices de Liège et de Huy. C‟est
également à cette occasion qu‟il fit transporter les reliques. L‟auteur du Triomphe de saint
Lambert sur le château de Bouillon, rédigé vers le milieu du XII
e
siècle, nous rapporte que les
milices urbaines de Liège furent placées sous les ordres d‟Eustache
96
. Bien qu‟il soit possible
qu‟Eustache de Chiny ait été avoué de la Cité de Liège, comme nous le verrons dans un
chapitre ultérieur, c‟est bien en tant qu‟avoué de Hesbaye qu‟il est mentionné ici. Comme l‟a
suggéré Jean-Louis Kupper, si le chroniqueur prend la peine de mentionner cet élément, c‟est
sans doute parce qu‟il n‟était pas habituel de voir les milices bourgeoises placées sous les
ordres de notre avoué. Cette situation qui prévaudra ultérieurement, pendant plusieurs siècles,
trouve peut-être son origine dans ce siège de Bouillon
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. On notera également que, durant ces
événements, il n‟est pas question de l‟étendard de saint Lambert, attribut si important de
l‟avoué de Hesbaye par la suite. Il est possible que l‟auteur du Triumphus n‟ait pas jugé utile
d‟évoquer la bannière dont l‟usage était connu de tous
98
. Quoi qu‟il en soit, sa présence à
Bouillon était superflue. Le bien le plus précieux et le plus efficace pour obtenir la victoire
était déjà aux côtés des Liégeois : les reliques de leur saint patron
99
.
Aussi remarquable soit-elle, la participation d‟Eustache à ces faits glorieux de l‟histoire
médiévale liégeoise ne parvient guère à masquer la rapacité du personnage, qui ne manquera
pas d‟éclater une nouvelle fois au grand jour. Tout d‟abord vers 1143
100
, lorsque l‟avoué de
Hesbaye jette son dévolu sur le domaine de Glons, propriété de l‟abbaye de Saint-Laurent
dont il est pourtant le protecteur. Ici encore, l‟intervention d‟Albéron s‟avéra nécessaire pour
ramener le turbulent Eustache à la raison. Nous reviendrons plus longuement sur l‟affaire de
Glons lorsqu‟il sera question des avoueries de Saint-Laurent. En attendant, ce n‟était que
94
Province de Luxembourg, arrondissement de Neufchâteau.
95
Cf. notamment J.L. KUPPER, Liège et l’Eglise impériale, op.cit., p.169 ; C. GAIER, Art militaire et armement
au pays de Liège, Liège autour de l‟an mil, la naissance d‟une principauté (X
e
-XII
e
siècles), Liège, 2000, p.74 ;
P. GEORGE, Le triomphe des saints mosans, Ibidem, p.77-78 ; C. GAIER, Grandes batailles de l’histoire liégeoise
au Moyen Age, Liège, 1980. Citons également A. JORIS, Le « Triomphe de Saint-Lambert à Bouillon » (1141).
Récit d’un témoin ou expression d’une mentalité ?, Publications de la section historique de l‟Institut grand-ducal
luxembourgeois, 1981, p.181-200 ; P. NISIN, L’arrière-plan historique du « Triomphe de saint Lambert à
Bouillon » (1141), Le Moyen Age, 1983, p.195-213.
96
Triumphus sancti Lamberti de castro Bollonio, éd. W. ARNDT, MGH, SS, t.20, Stuttgart, 1868, p.508. Illic
quoque cives et populus Legiae sua fixere tentoria, quibus praesse iussus est Eustachius advocatus de Hasbania
(1
er
septembre).
97
J.L. KUPPER, L’avouerie de la cité de Liège au haut Moyen Age, L‟avouerie en Lotharingie..., Luxembourg,
1984, p.101.
98
C. GAIER, Le rôle militaire des reliques et de l’étendard de saint Lambert dans la principauté de Liège, Le
Moyen Age, t.72, 1966, p.241-242.
99
C. GODEFROID, op. cit., p.379.
100
Acte émanant de l‟évêque Albéron II, donné à Liège le 18 septembre 1143. Cf. M. YANS, Le cartulaire de
l’abbaye de Saint-Laurent-lez-Liège, conservé au British Museum, B.S.A.H.D.L., t.47, 1967, n°4, p.34-35.