
P. CARRÉ, Les avoueries des églises liégeoises, XI
e
-XV
e
siècles, ULg, 2008-2009
Concernant d‟autres prérogatives, il semblait plus difficile d‟apporter une justification. Certes,
c‟est souvent en vertu de leur droit d‟appréhender ou districtio que les avoués imposaient aux
habitants des seigneuries ecclésiastiques des tailles, des prestations de corvées ou encore des
droits de mainmorte. Toutefois, de tels prélèvements n‟apparaissaient pas comme nécessaires,
puisque l‟avoué était déjà rétribué, principalement par le biais de rentes et d‟une part des
amendes. Le fait que les églises aient souvent contesté à leurs avoués les tailles et les corvées
et, plus généralement, nombre de privilèges seigneuriaux, laisse supposer qu‟il s‟agissait de
privilèges usurpés. La situation est cependant loin d‟être aussi simple.
Tout d‟abord, faute de sources, il s‟avère pratiquement impossible de déterminer l‟origine et
d‟observer l‟évolution des privilèges des avoués liégeois. Le plus souvent, ils nous
apparaissent déjà en place. Par ailleurs, l‟étude d‟autres avoueries de nos régions aux XI
e
et
XII
e
siècles laisse supposer que les privilèges banaux réclamés par les avoués ne résultaient
pas toujours d‟une usurpation, mais plutôt de l‟extension aux biens ecclésiastiques de droits
forgés au départ dans les domaines laïques
2356
.
En outre, si les prélèvements ou les corvées imposés par nombre d‟avoués étaient loin d‟être
négligeables, ils n‟étaient pas non plus un fardeau insurmontable pour les habitants. Ceux-ci
pouvaient même y trouver leur compte, pour autant que l‟avoué exerce convenablement ses
fonctions. Finalement, mieux valait payer la taille et bénéficier d‟une protection laïque
efficace, plutôt que de compter sur un seigneur ecclésiastique impuissant à mettre fin aux
pillages. Les églises elles-mêmes pouvaient aussi y trouver intérêt, préférant laisser l‟avoué
accaparer quelques privilèges seigneuriaux en échange d‟une meilleure défense de leurs biens.
Evidemment, il importe de nuancer : certains avoués accablaient littéralement les populations
de tailles et de corvées sans pour autant se soucier de leur protection. Une différence existait
également entre les avoueries de la mense épiscopale et du chapitre cathédral et celles des
églises secondaires. Comme nous le verrons dans la suite de cet exposé, c‟est avant tout dans
ces dernières que les avoués prétendirent à des droits dépassant le cadre strict de leur fonction.
12. Privilèges attachés à la fonction des avoués
Dans la majorité des possessions ecclésiastiques liégeoises, les avoués percevaient
traditionnellement la « tierce partie » des amendes. Les cas où l‟avoué recevait plus d‟un tiers
des amendes existent, mais ils sont moins fréquents. On en trouve notamment l‟illustration à
Ottoncourt où, en 1280, il est prévu de partager les amendes pour moitié entre l‟avoué et le
doyen du chapitre de Saint-Lambert
2357
. D‟une manière générale, quel que soit le prorata, la
part restante allait au seigneur des lieux : doyen du chapitre, abbé ou évêque
2358
. Parfois, ce
dernier jouissait de l‟exclusivité des amendes au détriment de l‟avoué, comme à Couvin
(1301)
2359
. Du moins dans la ville elle-même, car dans les autres localités de la châtellenie et
les terrains communaux, seule la moitié lui revenait. Le phénomène inverse se rencontrait
également : l‟avoué de Nivelle-sur-Meuse pouvait conserver l‟intégralité des amendes sur une
portion bien définie de la Meuse
2360
.
2356
DEVROEY & DIERKENS, op.cit., p.63.
2357
CSL., t.2, p.313-315, n°DCCXIV.
2358
Notons que le partage n‟était pas toujours immédiat. Nous l‟avons vu dans le cas de l‟avouerie de Verviers,
où il pouvait concerner plusieurs années consécutives. Cf. J. PEUTEMAN, Ibidem.
2359
S. BORMANS, Ibidem, p.19, n°5.
2360
Celle-ci portait le nom de Tribou. Un tel privilège est attesté à l‟Epoque moderne, mais rien n‟interdit de
penser qu‟il remontait à une époque plus ancienne. Cf. P.J. DEBOUXHTAY, F. DUBOIS, op.cit., p.121.