P. CARRÉ, Les avoueries des églises liégeoises, XI
e
-XV
e
siècles, ULg, 2008-2009
en place des caractéristiques essentielles de l‟avouerie « post médiévale », telle qu‟elle
perdurera dans bien des cas jusqu‟à la Révolution. Fonction militaire quasi inexistante,
fonction judiciaire strictement limitée et essentiellement honorifique, revenus en baisse, etc.
Cette mutation, Charles Pergameni l‟avait déjà observée dans son histoire de l‟avouerie
ecclésiastique il y a plus d‟un siècle, notant que la belle époque de l‟avouerie ecclésiastique
était close à la fin du XIV
e
siècle. Cette observation nous paraît tout à fait correspondre à la
situation que connaît alors l‟ensemble des avoueries liégeoises.
En attendant, bien que devenue honorifique, l‟avouerie n‟a pas perdu tout son intérêt, en
particulier pour la noblesse qui continue de la convoiter avidement. Au point qu‟on assiste à
un regroupement des offices au sein des lignages encore puissants de l‟aristocratie militaire,
en tête desquels les La Marck. Pour les ducs de Bourgogne dont les Etats commencent à
prendre forme dans nos régions à la fin du XIV
e
siècle, l‟avouerie n‟est pas non plus
dépourvue d‟intérêts. Pas tellement la charge proprement dite, qui ne représente plus grand-
chose, mais les revenus qu‟elle peut justifier et l‟implantation qu‟elle permet, notamment au
sein des villes. Le lignage d‟Orléans, adversaire de la Bourgogne, trouva également une
source d‟appui chez certains avoués de nos régions, dont plusieurs servirent fidèlement sa
cause au cours des premières années du XV
e
siècle. Par la suite, certains avoués liégeois
continueront de s‟opposer au développement de l‟influence bourguignonne, au point d‟y
laisser parfois leur charge, voire leur vie.
Pendant ce temps, les ducs de Bourgogne s‟étaient imposés en tant que hauts avoués d‟un
certain nombre de bonnes villes et de domaines liégeois, ce essentiellement en succédant aux
anciens dynastes territoriaux. Ils étaient représentés sur place par des subalternes qui
appartenaient parfois à leur parentèle, comme le comte de Hainaut à l‟époque de Jean sans
Peur. Pour les grands ducs d‟Occident, l‟avouerie représentait un moyen commode de
domination leur permettant de s‟infiltrer dans la principauté et de s‟emparer du pouvoir
temporel de l‟évêque. En réalité, il ne s‟agissait pas d‟une tactique nouvelle : pendant
plusieurs siècles, les grands princes, en particulier les comtes de Louvain puis les ducs de
Brabant, n‟avaient pas agi autrement. Quoi qu‟il en soit, les ducs de Bourgogne furent près de
parvenir à leurs fins : « vider de sa substance temporelle » la principauté épiscopale de Liège.
Les événements tragiques de la décennie 1467-1477 allaient en apporter la preuve flagrante.
Pour punir les Liégeois de leur révolte, Charles le Téméraire supprime toutes les avoueries
particulières. Dans le même temps, il laisse subsister le système d‟une avouerie suprême pour
l‟ensemble du pays de Liège et de Looz, instauré peu auparavant par son père, Philippe le
Bon. Le duc est désormais l‟avoué de toutes les seigneuries ecclésiastiques liégeoises, étant
représenté sur place par son lieutenant général, Guy de Brimeu. Ce système connaît
néanmoins un certain nombre d‟exceptions, notamment au profit de lignages tels les La
Marck qui ont servi docilement le Bourguignon. Ailleurs, des petites avoueries domaniales
semblaient peu, sinon pas, affectées. Pendant dix ans, les avoueries n‟en constituèrent pas
moins un rouage essentiel du protectorat établi par le Téméraire. Assez paradoxalement, c‟est
durant cette période où ses pouvoirs étaient quasiment réduits à néant que le prince-évêque
put réamorcer timidement le processus de récupération d‟avoueries abandonné par ses
prédécesseurs plus d‟un siècle auparavant. Mais cette fois, bien sûr, avec l‟assentiment
préalable du grand duc d‟Occident.
Quoiqu‟il en soit, ce système à deux poids deux mesures, dont l‟apparente uniformité
camouflait en fait une extrême complexité, ne survécut guère à la mort du Téméraire. Dès
1477, le retour au statu quo ante se produit un peu partout, à des vitesses variables cependant.